Urbaniste et philosophe, Paul Virilio s’est distingué tout au long de sa vie et de ses œuvres par une pensée libre et visionnaire, celle de la « tyrannie du temps réel », de la désintégration des territoires et du pouvoir de la vitesse.
Le littoral, “cette dernière frontière” intéressait depuis longtemps Paul Virilio. N’avait-il pas commencé sa carrière d’essayiste par la publication de Bunker Archéologie (1975, suite à l’exposition éponyme du Musée des arts décoratifs) après avoir parcouru le littoral atlantique à la recherche des défenses militaires de la Seconde Guerre mondiale ? Cheminant en 2009 le long de l’allée qui portera son nom, il s’exprimait en ces termes :
Dernières nouvelles : en 2008, 36 millions de personnes ont été déplacées pour des raisons climatiques, catastrophes naturelles, conflits. Le XXIe siècle, ce sera le siècle des grandes migrations, un milliard de personnes prévues dans les 50 ans. C’est un milliard de personnes qui vont bouger.
Toute la situation du monde va être perturbée, perturbée par la crise de la localisation. Les sociétés anciennes étaient inscrites dans un territoire, la terre natale. Aujourd’hui elles dérivent pour des raisons de délocalisation de l’emploi, pour des raisons de conflits qui n’en finissent pas et puis aussi pour, évidemment, la grande question climatique. La disparition des archipels, la submersion des seuils littoraux.
C’est toute l’histoire qui se remet en marche. C’est toute l’histoire qui prend la route. Un milliard de personnes qui bouge en un demi-siècle, ça n’a jamais existé. Tout cela remet en cause quoi ? La sédentarité, la cité, le fait d’être ici et pas d’ailleurs, le fait de stabiliser dans une région, dans une nation. Les immigrés ne sont que les signes avant-coureurs de la grande traçabilité. Identité, on est inscrit dans un lieu. Traçabilité, on s’inscrit dans un mouvement, on s’inscrit dans un voyage qui n’en finit pas. Aujourd’hui, le sédentaire c’est celui qui est partout chez lui grâce aux télécommunications, grâce à l’interactivité. Le nomade, celui qui est nulle part chez lui, sauf dans des camps de transit, ici ou là.
Donc la question qui se pose à nous est : comment allons-nous vivre ce mouvement perpétuel ? Un mouvement perpétuel de l’histoire en mouvement. Non plus celle des grandes invasions, non plus celle des déplacements conflictuels, mais celle d’une modification du climat, où la météo devient plus importante que la « géo ». Comme si la météopolitique allait submerger la géopolitique, c’est-à-dire l’aménagement de l’espace, l’aménagement du sol. C’est un peu comme si le ciel, ses nuages et sa pollution faisaient leurs entrées dans l’histoire. Non plus dans l’histoire des saisons l’été, l’automne, l’hiver, mais dans l’histoire du peuplement, dans l’histoire de zones inhabitables pour une raison ou pour une autre et pas simplement pour des raisons de désertification mais pour des raisons de disparition, de submersion du sol. C’est l’avenir.
Quelques mois plus tard, la tempête Xynthia touchait durement la côte atlantique, là même où étaient tenus ces propos. Riches de l’enseignement de Paul Virilio, l’esprit vif, nous regardons vers demain. Le grand accident n’est jamais loin et l’accélération du monde nous y entraîne. Il ne reste que la pensée pour nous en détourner à temps.
L’évènement La dernière frontière qui s’est déroulé à La Rochelle les 2 et 3 avril 2019 s’est voulu protéiforme : une exposition, des projections, des rencontres, une publication ou encore des itinéraires dans la ville.
Dans le cadre de la manifestation La dernière frontière, des rencontres se sont déroulées à la FLASH Université de La Rochelle, le 3 avril 2019. Le débat était animé par Stéphane Paoli avec les interventions de :
Le mur, la brèche, l’oblique, Jean-Louis Violeau
Repousser les frontières de la pédagogie, Éthel Buisson et Thomas Billard
Le littoral comme territoire de l’attente, Laurent Vidal
Penser la vitesse, Stéphane Paoli avec Olivier Marquezy et Alexandre Hallier
Ailleurs commence ici, débat entre Sébastien Thiéry et Sharon Rotbard
La dernière frontière, Thierry Paquot
Autour de Paul Virilio, Florian Ebner